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Me Aboubacar FALL : « la Facilité Africaine de Soutien Juridique a prouvé le bien fondé de sa création »

Par Adama WADE

Me Aboubacar FALL est Docteur en Droit, avocat au Barreau du Sénégal et ancien avocat au Barreau de Paris. Il a servi pendant de nombreuses années en qualité de Conseiller Juridique Principal du Groupe de la Banque Africaine de Développement (BAD). Associé de la société civile professionnelle (SCP) AF Legal, il a été de la première équipe qui a conçu et mis en place la Facilité Africaine de Soutien Juridique, un organe de la BAD qui assiste les Etats dans la négociation des contrats. Dix ans après la mise en place de cet instrument, Me Aboubacar FALL revient sur les acquis et les perspectives.

Me FALL, vous avez participé à la création de la Facilité Africaine de Soutien Juridique (« La Facilité ») et avez occupé les fonctions de Président de son Conseil de Gestion . Pouvez-vous nous présenter cette institution ?

Me Aboubacar FALL (AF) : La création de la Facilité répond à l’appel lancé en 2003 par les ministres africains des Finances face aux nombreux litiges intentés par les fonds vautours contre plusieurs pays du continent. Avec l’appui technique et financier du Département juridique de la Banque Africaine de Développement (BAD), il a été mis en place un dispositif institutionnel destiné à fournir une assistance financière et juridique aux pays africains dans les trois (3) domaines suivants :

  • Le contentieux de la dette souveraine initié par les fonds vautours et autres créanciers privés ;
  • La négociation des contrats commerciaux ou d’investissement complexes (infrastructures, mines, hydrocarbures etc ) ;
  • Le renforcement des capacités des juristes et négociateurs gouvernementaux destiné à corriger l’asymétrie existant lors des négociations de projets d’investissement ;

Il faut souligner que le Traité portant création de la Facilité est entré en vigueur en 2008, mais les opérations de la nouvelle institution n’ont démarré qu’en 2010. La Facilité est une organisation internationale indépendante  bien qu’elle soit hébergée au siège de la BAD à Abidjan (Côte d’Ivoire). En 2019, elle comptait 60 membres dont 53 Etats et 7 organisations internationales. 26 Etats africains et 3 Etats non – africains ont signé le Traité, mais ne l’ont toujours pas ratifié.

Je rappelle que la Facilité est un fonds alimenté par des contributions financières volontaires. Ses opérations s’effectuent sous la forme de dons et, exceptionnellement, d’avances remboursables à taux bonifiés. Par ailleurs, il est également important de noter que ses interventions s’appuient sur un document de stratégie à moyen terme (SMT). La SMT 2018- 22 ,en cours d’exécution, est alignée sur les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies et de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine. La mise en œuvre de cette ambitieuse SMT nécessite une enveloppe globale de 123 millions de dollars des Etats Unis d’Amérique,  soit 25 millions par an.

Relativement à sa gouvernance, il faut noter que la Facilité est organisée autour :

  • du Conseil de Gouvernance, composé de 12 représentants des Etats et organisations internationales membres de la Facilité.
  • du Conseil de Gestion, chargé de conduire les opérations, d’approuver le budget et de recruter le Directeur.
  • du Directeur chargé de l’exécution des décisions des organes de gouvernance.

La Facilité est opérationnelle depuis 10 ans. Pouvez- vous nous donner un aperçu de ses réalisations dans les différents domaines de sa mission ?

AF : Je pense que plus qu’une liste de projets soutenus grâce à l’appui financier de la Facilité, un aperçu du niveau des engagements permet de mieux apprécier l’importance et l’ampleur des réalisations de la Facilité.En effet, l’on observe qu’en 2010, les projets relatifs aux activités de la formation et de renforcement de capacités comptaient pour 7% du total des engagements annuels de la Facilité,  alors que les projets liés aux services de conseils juridiques et de représentation judiciaire ou arbitrale ne représentaient que 20% des engagements annuels. En 2012, les projets dont le financement était approuvé par le Conseil de Gestion concernaient à 49% les procédures relatives à la dette souveraine alors que les projets de conseils et de formation n’étaient que de 2% du total des engagements annuels. En 2016 et en 2018, la tendance s’est fortement inversée,  puisque 70% des engagements annuels ont été dirigés vers des projets de conseils juridiques aux Etats membres.

Bien que les activités de formation et de renforcement de capacités aient connu un important développement grâce à la mise en place de la structure spécialisé appelée ALSF Academy, les services de conseils ont continué de croitre. A titre d’exemple, la Facilité a, récemment, fourni un appui financier et juridique à l’Ethiopie dans la négociation des contrats relatifs à l’exploitation des importantes et récentes découvertes de gisements de gaz naturel. Je rappelle qu’au titre de la SMT, la Facilité a besoin de 123 millions de dollars américains pour répondre aux sollicitations de plus en plus nombreuses des Etats membres.

Quels sont les défis auxquels fait face la Facilité dans l’accomplissement de sa mission ?

La Facilité est confrontée à des défis de  trois (3) ordres :

  • Il s’agit tout d’abord, d’assurer la prorogation du mandat de l’institution. Je me rappelle, en effet, qu’aux termes de l’article XXVIII du Traité, la durée de vie de la Facilité est fixée à 14 ans.  Toutefois, cette disposition précise que la durée peut être rallongée ou réduite par décision du Conseil de Gouvernance. En février 2020 à l’occasion de la Réunion de Haut Niveau (High Level Meeting) tenue à Abidjan (Côte d’Ivoire), les délégations des Etats membres et des organisations internationales ont unanimement adopté une Déclaration demandant le maintien des activités   de la Facilité au-delà de 2022.Tout porte à croire que , lors de sa prochaine assemblée, le Conseil de Gouvernance décidera d’entériner cette Déclaration d’Abidjan .
  • Le deuxième défi, qui est une conséquence du précèdent, est relatif aux capacités financières de la Facilité. Comme je l’ai rappelé plus tôt,  la Facilité est un fonds alimenté par des contributions volontaires des Etats, des organisations internationales et, le cas échéant, du secteur privé. Pour faire face aux sollicitations de plus en plus importantes des Etats, il est donc impératif que la Facilité augmente le volume des contributions financières. En cette période de pandémie où les ressources financières des donateurs traditionnels sont dirigées vers les programmes sanitaires et sociaux, il faudra faire preuve d’imagination et de détermination pour assurer à la Facilité un budget annuel de 25 millions de dollars des Etats Unis d’Amérique,  conformément aux prévisions de la SMT 2018-2022.

La Facilité, faut-il le rappeler, répond à une demande expresse des pays africains. C’est donc une institution africaine au bénéfice des Etats africains. Or, à ce jour, toutes les contributions financières qui alimentent son budget proviennent de donateurs étrangers, à l’exception d’un don de  la République de Guinée. Cette situation , vous en conviendrez, est anormale et doit être redressée dans les meilleurs délais, d’autant qu’il n’est imposé aux donateurs aucun montant, en particulier. Il y va de la crédibilité et de la dignité des Etats Africains.

D’autres voies de mobilisation de ressources doivent être explorées. Il en est ainsi du nouveau Cadre de Partenariat que la Facilité a  mis en place avec le secteur privé et qui vise à obtenir des entreprises privées africaines et étrangères des contributions dirigées vers le financement d’objectifs précis choisis  en accord avec la Facilité..

  1. Le troisième défi concerne, à mon avis, la concurrence d’institutions à vocation similaire à la Facilité. Il s’agit, en particulier de l’Organisation Internationale de Droit du Développement (IDLO) et de CONNEX Support Unit.
  2. L’IDLO est une organisation intergouvernementale destinée à fournir aux pays en développement une assistance technique par la formation de leurs juristes. Quelques pays africains tels que le Sénégal, la Tunisie et le Soudan font partie de ses membres fondateurs. Il faut souligner qu’en 2019, l’IDLO a modifié son mandat en y incluant l’assistance juridique à la négociation des contrats d’investissements complexes. Cette volonté de « marcher sur les platebandes «  de la Facilité a été confirmée par le lancement par l’IDLO de son programme de soutien en matière d’investissement au profit des pays moins développés.  En effet, comme la Facilité, les services d’appui sont fournis gratuitement ou, le cas échéant, au prix d’honoraires d’avocats réduits.

CONNEX Support Initiative est une initiative lancée en 2014 au sommet de Bruxelles par le G7 comme l’expression politique de l’engagement des pays les plus développés d’assister les pays en développement et en transition dans la négociation et la renégociation des contrats commerciaux et d’investissements complexes, en particulier dans le secteur extractif. Le Ministère Allemand de la Coopération Economique et du Développement a établi le CONNEX Support Unit qui joue le rôle d’agence d’exécution et de gestion de l’Initiative. Le CONNEX Support Unit est l’entité chargée de fournir aux pays une assistance rapide, indépendante, multidisciplinaire et de haute qualité.

Force est de constater toutes les deux initiatives décrites ci-dessus ont été conçues sur la base du succès des interventions de la Facilité. Ainsi que le fait très justement remarquer Monsieur Stephen Karangizi, Directeur de la Facilité ,« malgré les similarités, la Facilité est la seule institution créée et gérée par les africains dans le seul but de leur apporter des solutions rapides, flexibles à leurs besoins dans les domaines mentionnés plus haut.» Dés lors, substituer des institutions étrangères à la Facilité qui est une institution africaine signifierait l’abandon à l’étranger d’un important outil du développement économique et social du continent.

Comment voyez-vous l’avenir de la Facilité ?

La Facilité a prouvé le bien fondé et la justification de sa création. Je pense donc qu’une fois intervenue la décision du Conseil de Gouvernance de proroger ou de pérenniser la durée de vie de la Facilité, celle-ci devra, notamment :

- Renforcer sa stratégie de mobilisation de ressources envers les donateurs traditionnels, mais également à l’égard des Etats africains membres et du secteur privé ;

- Redéfinir son champ d’intervention, compte tenu des nouvelles demandes des Etats membres dans des domaines tels que les énergies renouvelables, les produits financiers innovants etc.

- Engager avec la BAD des négociations pour la mise en place d’un partenariat qui viendrait en appui aux opérations de cette dernière, notamment, par l’exécution de missions conjointes. La Facilité pourrait, par exemple, jouer  un rôle similaire à celui de PPIAF dans le cadre des opérations de la Banque Mondiale, en octroyant le  seed money  destiné à la préparation de projets d’envergure (infrastructures, mines, pétrole et gaz etc.).

- Maintenir et amplifier les missions de formation d’ALSF Academy par de nouveaux partenariats avec des organisations spécialisées en Afrique et à l’étranger ;

- Constituer un acteur majeur dans la réalisation des Objectifs du Développement Durable et de la nouvelle zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA).

Retrouvez l’article original sur Financial Afrik https://www.financialafrik.com/2021/03/16/me-aboubacar-falll-la-facilite-africaine-de-soutien-juridique-a-prouve-le-bien-fonde-de-sa-creation/amp/